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11/10/12 : Une randonnée dans l'Atlas dans Voyages

11/10/2012 :
A Moroccan Journey - Première partie dans Vidéos

19/12/2011 :
Islande, cinquième partie dans Voyages

17/12/2011 :
Fin de journée, dans le Blog



A Moroccan Journey - Part 1.1 - The Atlas

A Moroccan Journey - Partie 1.1 - L'Atlas

Vous pouvez voir la vidéo ici

           Nous avons finalement réussi à nous extirper de Marrakech, à peine 24 heures après notre arrivée. La station des Grands Taxis ne fut pas des plus difficile à trouver : un Petit Taxi nous y mena pour moins d’un euro. D’ici, nous comptions partir pour Imlil, le  village qui sert de point de départ au trek qui grimpe jusqu’au plus haut sommet du Maroc, le Toubkal. A la sortie de la ville, sur une sorte de terrain vague où se vendaient des fruits et légumes, l’odeur de l’essence emplissait l’atmosphère. Une vingtaine de vieilles Mercedes couleur sable étaient stationnées là. Les chauffeurs discutaient entre eux, à l’ombre des étals. A peine un pied en dehors de la voiture, ceux-ci nous sautèrent dessus : « Où allez-vous ? ». Après une courte négociation, nous roulions vers les montagnes, perdues au loin dans la brume. Le compteur kilométrique de l’antique Mercedes affichait 962 421km, chiffre bloqué à jamais. La main de Fatima pendait au rétroviseur et dansait au rythme des virages. Le paysage semi désertique de la sortie de Marrakech laissa rapidement la place aux petites routes sinueuses circulant dans le fond des vallées et sur le flanc des montagnes. On apercevait des mules et leurs conducteurs sur le bord de la route, des mobylettes ; ceux-ci disparaissaient en un clin d’œil. Un coup de klaxon retentissait pour les prévenir que nous arrivions. La route se dégradait peu à peu, se transformait en un chemin tapissé de nids de poule au fur et à mesure que nous nous rapprochions de notre destination.

            Imlil, petit village oscillant entre constructions récentes et traditionnelles, est perché à 1700 mètres d’altitude. La chaine du Haut-Atlas, où se trouve le deuxième sommet le plus haut d’Afrique, s’étire à l’est du Maroc parallèlement à la côte Atlantique. C’est ici que nous avons rencontré Luis, l’Espagnol qui nous accompagna un temps dans notre périple. Les habitants du village étaient bien plus sympathiques que ce qui nous a été donné de voir à Marrakech, ils semblaient faire la conversation juste pour le plaisir de parler.

Imlil







            L’aube était proche et l’air était frais lorsque nous nous sommes réveillés. Le village, lui, était désert. On a retrouvé Luis, et sommes allés boire un thé pour se réveiller et se réchauffer avant de partir. Ensuite, il suffisait de suivre le chemin qui serpentait à travers la montagne. Le brouillard recouvrait tout, il était impossible de discerner quoi que ce soit à plus de vingt mètres. On pouvait entendre le bruit étouffé d’une rivière qui ronflait en contrebas mais son lit était perdu dans la brume.
            Après quelques temps, nous avons traversé un fond de vallée de plusieurs centaines de mètres de large, creusé par un ancien glacier. Les cailloux roulaient sous les chaussures et le brouillard commençait à se dissiper. Puis, finalement, nous avons pris le sentier auprès duquel un panneau indiquait « Vous entrez dans le Parc Naturel du Toubkal ». A ce moment là, une marocain perché sur une mule et son conducteur nous doublèrent : « Vous devriez faire comme moi, c’est plus facile ! » rigola l’homme qui montait l’animal. Nous n’avions pas voulu engager de guide ni de mules pour porter nos affaires : trop cher pour quelque chose que nous pouvions faire nous même. Il est pourtant vrai que l’on profite plus du paysage lorsqu’on ne porte qu’un petit sac, mais le plaisir  d’arriver n’est pas de la même intensité… Et puis la randonnée, plus que de marcher, c’est également porter son sac. 

Une mule portant des sacs à dos (Photo : Natalia Belzarova)

Plus on marchait et plus le paysage devenait abrupt, rude. Le vert d’Imlil et des environs laissait place à des champs de roches de part et d’autre. Les pics étaient enfin découverts, le ciel était d’un bleu d’été peuplé de quelques fins nuages véloces : une petite brise soufflait. Plus on montait en altitude et plus la respiration devenait rapide. Les pauses que nous faisions, Natalia, Luis et moi, étaient souvent sans trop de discussions. Tandis que nous reprenions notre respiration, nos regards se perdaient dans les pics qui s’offraient à nous, on pouvait observer les troupeaux de moutons de l’autre côté de la vallée, les quelques touffes verdoyantes ici et là. Lors d’une de ces pauses, nous vîmes arriver les deux hommes et la mule qui nous avaient doublé quelques temps avant. Par quel prodige les avions nous dépassés ? Lorsqu’ils passèrent devant nous, celui qui était sur la monture fouilla dans un des sacs bariolés qui pendaient de chaque côté de la mule, et me lança une orange avec un grand sourire.
Après trois ou quatre heures de marche, un village surgit au fond d’un petit cirque. De la même couleur que les roches alentours, il était facile de ne pas l’apercevoir au premier regard. Avant d’y accéder, il fallait traverser un petit pont qui enjambait un cours d’eau, toujours agité des remous créé par la cascade quelques mètres en amont. Plusieurs personnes semblaient habiter là, à trois heures de marche du village le plus proche. Alors que nous nous arrêtions pour boire un peu d’eau, un des villageois s’approcha de nous pour discuter. Il nous parla des élections présidentielles françaises qui venaient de se produire quelques jours auparavant : un sujet de conversation inattendu au milieu des montagnes ! La conversation allant bon train, il nous demanda si nous n’avions pas des choses à troquer avec lui.

Le petit village caché



Nous ne le savions alors pas, mais nous n’étions alors qu’à la moitié du chemin. Nous avons repris la route de bon cœur. Au fur et à mesure que nous avancions, nous croisions davantage de randonneurs, en sens inverse : de bonnes occasions pour faire des pauses et discuter un peu. Ces échanges avaient les mêmes thèmes récurrents : « Le refuge est-il encore loin ? » ou encore « Vous êtes montés jusqu’au sommet ? ». La réponse par rapport au sommet était toujours la même : « Trop de vent, trop froid, pas assez d’équipement. Ce n’était pas possible. » Puis Luis et Natalia, qui étaient en avance sur moi, se s’arrêtèrent pour discuter avec un couple d’une cinquantaine d’années, des danois. L’homme était assis sur une roche, les cheveux longs et hirsutes, et paraissait comme sonné. Je compris rapidement pourquoi lorsqu’il nous montra ses mains. « Il est allé au sommet seul, sans gants, sans trop d’équipement. Ce sont des engelures. Il en a aussi sur les jambes » nous indiqua sa femme, qui n’avait pas voulu se joindre à lui dans son aventure, qui l’avait attendu au refuge, préoccupée. L’évocation des engelures et du vent qui, paraît-il, soufflait très fort commença à faire son chemin sinueux dans ma tête : peut-être n’était-ce pas bien prudent de tenter l’expérience, vu l’équipement que nous même avions…
Nous suivions la vallée qui montait au refuge, et à la fin de chaque virage, de chaque montée, j’espérai apercevoir la petite maison qui signifierait la fin de notre première étape. Nous étions à plus de 3000 mètres d’altitude, et les sacs d’une quinzaine de kilos que nous portions ne cessaient de s’alourdir. La dernière heure d’ascension fut la plus intense. Et, finalement, au détour d’un ultime virage, le fond de la vallée s’est dessiné. Un cours d’eau traversait une petite praire verte qui s’étendait devant nous, les deux bâtiments du refuge étaient au fond, enserrés entre les deux immenses montagnes qui se faisaient face. On aurait dit la limite ultime d’un monde. C’était à la fois beau et effrayant. Le silence était seulement rompu par les quelques oiseaux qui passaient et le bruit des cailloux sous nos chaussures. Le sourire reprenait le pas sur la lassitude et la fatigue : on était finalement arrivé à la fin de notre première étape, à 3207 mètres d’altitude.

Le refuge, à 3207m d'altitude


            Après une douche miraculeuse, nous nous sommes installés dans la salle commune du refuge, où nous en apprîmes davantage sur les précédentes journées – les tentatives avortées d’escalader le Toubkal. Nous avons sympathisé avec un couple de jeunes français qui étaient là depuis deux jours, à essayer d’atteindre le sommet. Ils avaient tenté deux fois, ce jour, sans succès. La première fois, vers 6 ou 7h du matin, ils partirent avec un homme et son fils de 6 ans. Le vent soufflait fort, soulevait la poussière et le sable qui allaient se nicher dans le coin des yeux, dans les oreilles, dans chaque repli de vêtement. Plusieurs fois, nous racontaient-ils, il avait fallut s’accrocher au jeune garçon de 6 ans pour ne pas qu’il s’envole, arraché par une bourrasque de vent. Ils n’avaient pas fait la moitié du chemin qu’ils avaient décidé de faire demi-tour. Plus ils nous racontaient leurs tentatives et celles des autres, tout aussi malheureuses, plus mon envie de tenter l’expérience diminuait. Une seule personne avait réussi, ce jour là, à grimper jusqu’au sommet : le danois que nous avions croisé quelques heures auparavant. Il était revenu sonné, titubant, à moitié congelé.
            Le diner terminé, je suis sorti fumer une cigarette sous le ciel crépusculaire, encore orangé. Il n’y avait plus du tout de vent, pas un nuage. « C’est l’heure de partir », plaisanta l’un des guides qui était dehors avec moi. Un autre lui répondit « C’est un bon présage pour demain. » Je n’étais pas sûr d’être content de cela.

           
            Lorsque je me suis réveillé, mon premier réflexe fut de jeter un œil par la fenêtre, qui donnait sur la première partie du chemin vers le sommet Toubkal. Il faisait beau, il n’y avait pas trop de vent. Nous sommes tous descendus déjeuner, dans le refuge désormais vide : tous les randonneurs étaient partis bien avant nous, certains dès 5h et demi du matin, afin d’avoir le temps de redescendre à Imlil dans la foulée. Au déjeuner, nous prîmes notre décision : aujourd’hui, nous randonnerons jusqu’au toit du Maroc !
            Frais comme des gardons radioactifs, on a donc attaqué l’ascension en suivant les conseils du français rencontré la veille. Le chemin était facile à suivre, nous avions bien fait de ne pas engager de guide. Ma pensée était fixée sur le sommet, mais parfois un éclair de crainte m’incitait à redescendre. Les pas et les pauses s’enchainaient, doucement. Nous avions la journée pour faire le millier de mètre de dénivelée qui nous séparait du sommet. Puis, un peu avant la moitié du chemin, nous avons commencé à croiser les premiers randonneurs qui redescendaient, les yeux brillants et le sourire qui se dessinait à l’évocation du sommet. Encore une fois ces discussions nombreuses nous permettaient de faire des pauses qui n’étaient pas négligeable : le manque d’oxygène nous volait notre force et nous avions rapidement le souffle court.

Un chemin vers le ciel

            Dès le début, nous avons traversé des petites plaques de neige. Plus on montait, plus elles devenaient nombreuses : les réminiscences de l’hiver passé. Certaines créaient des petites cascades, des petites rivières qui tantôt serpentaient librement, tantôt disparaissaient sous la glace. De temps à autres, quelques oiseaux nous survolaient : ils paraissaient se moquer de notre lenteur, de notre fatigue, de notre acharnement à vouloir monter au sommet. Un désert de roches, des falaises abruptes et de lointains pics nous encerclaient. Et, toujours, une côte qui semblait monter jusqu’à l’azur du ciel se dressait devant nous.

            Pourquoi je fais ça, pourquoi nous cherchons tant à nous élever ? Pourquoi nous nous torturons, d’un sens, afin de se retrouver au sommet d’une montagne ? Le plaisir est la première réponse qui me vient à l’esprit : plus que le but, c’est le chemin qui y mène qui est satisfaisant, qui construit l’expérience. Ce qui était vrai pour cette randonnée l’est pour la plupart des évènements, des voyages, des quêtes. La consécration, tant recherchée, est un leurre. D’après la légende, le Saint Graal n’a jamais été trouvé. Cependant, les chevaliers qui le cherchèrent durant des années parcoururent un chemin immense, tant spirituel que réel. Sur la route, longue et périlleuse, ils se sont enrichis, ont rencontré des gens ; ils ont grandis. Ils ont affronté des épreuves qu’ils n’auraient jamais pu imaginer s’ils étaient restés à attendre la livraison du Saint Graal, en buvant des cervoises autour de la table ronde. Cette quête n’était qu’un prétexte pour les occuper, une chimère à pourchasser : une formation au long cours. Dans mon cas, le sommet était cette chimère : sitôt arrivé au sommet, je savais inconsciemment qu’un autre objectif me porterait plus loin. 
Dans la dernière  partie de l'ascencion  (Photo : Natalia Belzarova)
Je crois que ce fut un sentiment de soulagement qui s’empara de moi lorsque nous sommes arrivés en vue du point qui signifiait que nous étions arrivés. Nous l’avions fait ; je l’avais fait. La dernière demi-heure fut la plus harassante, physiquement et mentalement. Comme la veille, chaque chemin qui se perdait dans le ciel nous promettait que le sommet était là, à portée. Plusieurs fois, je me suis pris au jeu, en vain. Je marchais à l’allure d’une grand-mère infirme, courbé sous l’effort, et je soufflais comme si je courais un marathon. Toutes les cinq minutes, malgré l’effort mental que je prodiguais, malgré l’effet de groupe qui me portait, je m’arrêtais pour reprendre mon souffle, et regardait vers là où je pensais que le sommet se trouvait. Il n’arrivait pas. Plus personne ne se parlait, mis à part pour faire une grimace, une sorte de sourire crispé, entre deux respirations. L’idée d’abandonner affrontait la volonté d’en finir, de ne pas avoir tant marché  pour « rien ».

Et puis finalement, au détour d’un chemin, l’hideuse pyramide de métal qui marquait le point le plus haut, apparut. Malgré la fatigue, les muscles brûlants, le souffle court, j’accélérai. Un cri de soulagement ou de joie plus tard, nous mangeâmes là, à 4167 mètres d’altitude, en paix. Il n’y avait qu’une brise à peine perceptible, et des oiseaux qui venaient voler notre déjeuner. D’un côté nous voyions la plaine de Marrakech, et de l’autre, les montagnes et les vallées qui continuaient, vers le désert. Peu de mots furent échangés, surtout des sourires. Le silence assourdissant qui nous entourait était propice au repos. Après quelques dizaines de minutes, méditation ou  sieste, nous avons entamé la longue redescente. Dans le dernier quart nous avons croisé des randonneurs qui grimpaient, avec des sacs énormes sur le dos. « Vous comptez camper là-haut ?! » leur demandai-je stupidement. « Non, on va redescendre en parapente. Il y a beaucoup de vent là haut ? » me répondit l’un des deux. Un retour sans doute plus agréable que de revenir sus ses pas, pour pouvoir enfin narguer les oiseaux.

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