A Moroccan Journey - Partie 1.1 - L'Atlas
Nous avons finalement réussi à nous
extirper de Marrakech, à peine 24 heures après notre arrivée. La station des Grands Taxis ne fut pas des plus
difficile à trouver : un Petit Taxi
nous y mena pour moins d’un euro. D’ici, nous comptions partir pour Imlil, le village qui sert de point de départ au trek qui
grimpe jusqu’au plus haut sommet du Maroc, le Toubkal. A la sortie de la ville,
sur une sorte de terrain vague où se vendaient des fruits et légumes, l’odeur
de l’essence emplissait l’atmosphère. Une vingtaine de vieilles Mercedes
couleur sable étaient stationnées là. Les chauffeurs discutaient entre eux, à
l’ombre des étals. A peine un pied en dehors de la voiture, ceux-ci nous
sautèrent dessus : « Où allez-vous ? ». Après une courte
négociation, nous roulions vers les montagnes, perdues au loin dans la brume.
Le compteur kilométrique de l’antique Mercedes affichait 962 421km, chiffre
bloqué à jamais. La main de Fatima pendait au rétroviseur et dansait au rythme
des virages. Le paysage semi désertique de la sortie de Marrakech laissa
rapidement la place aux petites routes sinueuses circulant dans le fond des
vallées et sur le flanc des montagnes. On apercevait des mules et leurs
conducteurs sur le bord de la route, des mobylettes ; ceux-ci
disparaissaient en un clin d’œil. Un coup de klaxon retentissait pour les
prévenir que nous arrivions. La route se dégradait peu à peu, se transformait
en un chemin tapissé de nids de poule au fur et à mesure que nous nous rapprochions
de notre destination.
Imlil, petit village oscillant entre
constructions récentes et traditionnelles, est perché à 1700 mètres d’altitude.
La chaine du Haut-Atlas, où se trouve le deuxième sommet le plus haut
d’Afrique, s’étire à l’est du Maroc parallèlement à la côte Atlantique. C’est
ici que nous avons rencontré Luis, l’Espagnol qui nous accompagna un temps dans
notre périple. Les habitants du village étaient bien plus sympathiques que ce
qui nous a été donné de voir à Marrakech, ils semblaient faire la conversation
juste pour le plaisir de parler.
L’aube était proche et l’air était
frais lorsque nous nous sommes réveillés. Le village, lui, était désert. On a
retrouvé Luis, et sommes allés boire un thé pour se réveiller et se réchauffer
avant de partir. Ensuite, il suffisait de suivre le chemin qui serpentait à
travers la montagne. Le brouillard recouvrait tout, il était impossible de
discerner quoi que ce soit à plus de vingt mètres. On pouvait entendre le bruit
étouffé d’une rivière qui ronflait en contrebas mais son lit était perdu dans
la brume.
Après quelques temps, nous avons
traversé un fond de vallée de plusieurs centaines de mètres de large, creusé
par un ancien glacier. Les cailloux roulaient sous les chaussures et le
brouillard commençait à se dissiper. Puis, finalement, nous avons pris le
sentier auprès duquel un panneau indiquait « Vous entrez dans le Parc Naturel du Toubkal ». A ce moment là,
une marocain perché sur une mule et son conducteur nous doublèrent :
« Vous devriez faire comme moi,
c’est plus facile ! » rigola l’homme qui montait l’animal. Nous
n’avions pas voulu engager de guide ni de mules pour porter nos affaires :
trop cher pour quelque chose que nous pouvions faire nous même. Il est pourtant
vrai que l’on profite plus du paysage lorsqu’on ne porte qu’un petit sac, mais
le plaisir d’arriver n’est pas de la
même intensité… Et puis la randonnée, plus que de marcher, c’est également
porter son sac.
Une mule portant des sacs à dos (Photo : Natalia Belzarova) |
Plus on marchait et plus le paysage devenait abrupt, rude.
Le vert d’Imlil et des environs laissait place à des champs de roches de part
et d’autre. Les pics étaient enfin découverts, le ciel était d’un bleu d’été
peuplé de quelques fins nuages véloces : une petite brise soufflait. Plus on
montait en altitude et plus la respiration devenait rapide. Les pauses que nous
faisions, Natalia, Luis et moi, étaient souvent sans trop de discussions. Tandis
que nous reprenions notre respiration, nos regards se perdaient dans les pics
qui s’offraient à nous, on pouvait observer les troupeaux de moutons de l’autre
côté de la vallée, les quelques touffes verdoyantes ici et là. Lors d’une de
ces pauses, nous vîmes arriver les deux hommes et la mule qui nous avaient
doublé quelques temps avant. Par quel prodige les avions nous dépassés ?
Lorsqu’ils passèrent devant nous, celui qui était sur la monture fouilla dans
un des sacs bariolés qui pendaient de chaque côté de la mule, et me lança une
orange avec un grand sourire.
Après trois ou quatre heures de marche, un village surgit
au fond d’un petit cirque. De la même couleur que les roches alentours, il
était facile de ne pas l’apercevoir au premier regard. Avant d’y accéder, il
fallait traverser un petit pont qui enjambait un cours d’eau, toujours agité
des remous créé par la cascade quelques mètres en amont. Plusieurs personnes
semblaient habiter là, à trois heures de marche du village le plus proche.
Alors que nous nous arrêtions pour boire un peu d’eau, un des villageois s’approcha
de nous pour discuter. Il nous parla des élections présidentielles françaises
qui venaient de se produire quelques jours auparavant : un sujet de
conversation inattendu au milieu des montagnes ! La conversation allant
bon train, il nous demanda si nous n’avions pas des choses à troquer avec lui.
Nous ne le savions alors pas, mais nous n’étions alors qu’à
la moitié du chemin. Nous avons repris la route de bon cœur. Au fur et à mesure
que nous avancions, nous croisions davantage de randonneurs, en sens
inverse : de bonnes occasions pour faire des pauses et discuter un peu.
Ces échanges avaient les mêmes thèmes récurrents : « Le refuge est-il encore loin ? »
ou encore « Vous êtes montés jusqu’au sommet ? ». La réponse
par rapport au sommet était toujours la même : « Trop de vent, trop froid, pas assez d’équipement. Ce n’était pas
possible. » Puis Luis et Natalia, qui étaient en avance sur moi, se s’arrêtèrent
pour discuter avec un couple d’une cinquantaine d’années, des danois. L’homme
était assis sur une roche, les cheveux longs et hirsutes, et paraissait comme
sonné. Je compris rapidement pourquoi lorsqu’il nous montra ses mains. « Il est allé au sommet seul, sans gants, sans
trop d’équipement. Ce sont des engelures. Il en a aussi sur les jambes »
nous indiqua sa femme, qui n’avait pas voulu se joindre à lui dans son
aventure, qui l’avait attendu au refuge, préoccupée. L’évocation des engelures
et du vent qui, paraît-il, soufflait très fort commença à faire son chemin
sinueux dans ma tête : peut-être n’était-ce pas bien prudent de tenter
l’expérience, vu l’équipement que nous même avions…
Nous suivions la vallée qui montait au refuge, et à la fin
de chaque virage, de chaque montée, j’espérai apercevoir la petite maison qui
signifierait la fin de notre première étape. Nous étions à plus de 3000 mètres
d’altitude, et les sacs d’une quinzaine de kilos que nous portions ne cessaient
de s’alourdir. La dernière heure d’ascension fut la plus intense. Et,
finalement, au détour d’un ultime virage, le fond de la vallée s’est dessiné. Un
cours d’eau traversait une petite praire verte qui s’étendait devant nous, les
deux bâtiments du refuge étaient au fond, enserrés entre les deux immenses
montagnes qui se faisaient face. On aurait dit la limite ultime d’un monde.
C’était à la fois beau et effrayant. Le silence était seulement rompu par les
quelques oiseaux qui passaient et le bruit des cailloux sous nos chaussures. Le
sourire reprenait le pas sur la lassitude et la fatigue : on était
finalement arrivé à la fin de notre première étape, à 3207 mètres d’altitude.
Après une douche miraculeuse, nous nous
sommes installés dans la salle commune du refuge, où nous en apprîmes davantage
sur les précédentes journées – les tentatives avortées d’escalader le Toubkal.
Nous avons sympathisé avec un couple de jeunes français qui étaient là depuis
deux jours, à essayer d’atteindre le sommet. Ils avaient tenté deux fois, ce
jour, sans succès. La première fois, vers 6 ou 7h du matin, ils partirent avec
un homme et son fils de 6 ans. Le vent soufflait fort, soulevait la poussière
et le sable qui allaient se nicher dans le coin des yeux, dans les oreilles, dans
chaque repli de vêtement. Plusieurs fois, nous racontaient-ils, il avait fallut
s’accrocher au jeune garçon de 6 ans pour ne pas qu’il s’envole, arraché par une
bourrasque de vent. Ils n’avaient pas fait la moitié du chemin qu’ils avaient
décidé de faire demi-tour. Plus ils nous racontaient leurs tentatives et celles
des autres, tout aussi malheureuses, plus mon envie de tenter l’expérience
diminuait. Une seule personne avait réussi, ce jour là, à grimper jusqu’au
sommet : le danois que nous avions croisé quelques heures auparavant. Il
était revenu sonné, titubant, à moitié congelé.
Le diner terminé, je suis sorti
fumer une cigarette sous le ciel crépusculaire, encore orangé. Il n’y avait
plus du tout de vent, pas un nuage. « C’est l’heure de partir »,
plaisanta l’un des guides qui était dehors avec moi. Un autre lui répondit
« C’est un bon présage pour demain. » Je n’étais pas sûr d’être
content de cela.
Lorsque je me suis réveillé, mon
premier réflexe fut de jeter un œil par la fenêtre, qui donnait sur la première
partie du chemin vers le sommet Toubkal. Il faisait beau, il n’y avait pas trop
de vent. Nous sommes tous descendus déjeuner, dans le refuge désormais
vide : tous les randonneurs étaient partis bien avant nous, certains dès
5h et demi du matin, afin d’avoir le temps de redescendre à Imlil dans la
foulée. Au déjeuner, nous prîmes notre décision : aujourd’hui, nous
randonnerons jusqu’au toit du Maroc !
Frais comme des gardons radioactifs,
on a donc attaqué l’ascension en suivant les conseils du français rencontré la
veille. Le chemin était facile à suivre, nous avions bien fait de ne pas
engager de guide. Ma pensée était fixée sur le sommet, mais parfois un éclair
de crainte m’incitait à redescendre. Les pas et les pauses s’enchainaient,
doucement. Nous avions la journée pour faire le millier de mètre de dénivelée
qui nous séparait du sommet. Puis, un peu avant la moitié du chemin, nous avons
commencé à croiser les premiers randonneurs qui redescendaient, les yeux brillants
et le sourire qui se dessinait à l’évocation du sommet. Encore une fois ces
discussions nombreuses nous permettaient de faire des pauses qui n’étaient pas
négligeable : le manque d’oxygène nous volait notre force et nous avions
rapidement le souffle court.
Un chemin vers le ciel |
Dès le début, nous avons traversé
des petites plaques de neige. Plus on montait, plus elles devenaient
nombreuses : les réminiscences de l’hiver passé. Certaines créaient des petites
cascades, des petites rivières qui tantôt serpentaient librement, tantôt
disparaissaient sous la glace. De temps à autres, quelques oiseaux nous
survolaient : ils paraissaient se moquer de notre lenteur, de notre
fatigue, de notre acharnement à vouloir monter au sommet. Un désert de roches,
des falaises abruptes et de lointains pics nous encerclaient. Et, toujours, une
côte qui semblait monter jusqu’à l’azur du ciel se dressait devant nous.
Pourquoi je fais ça, pourquoi nous
cherchons tant à nous élever ? Pourquoi nous nous torturons, d’un sens,
afin de se retrouver au sommet d’une montagne ? Le plaisir est la première réponse qui me vient à l’esprit : plus
que le but, c’est le chemin qui y mène qui est satisfaisant, qui construit
l’expérience. Ce qui était vrai pour cette randonnée l’est pour la plupart des
évènements, des voyages, des quêtes. La consécration, tant recherchée, est un
leurre. D’après la légende, le Saint Graal n’a jamais été trouvé. Cependant, les
chevaliers qui le cherchèrent durant des années parcoururent un chemin immense,
tant spirituel que réel. Sur la route, longue et périlleuse, ils se sont enrichis,
ont rencontré des gens ; ils ont grandis. Ils ont affronté des épreuves
qu’ils n’auraient jamais pu imaginer s’ils étaient restés à attendre la
livraison du Saint Graal, en buvant des cervoises autour de la table ronde. Cette
quête n’était qu’un prétexte pour les occuper, une chimère à pourchasser :
une formation au long cours. Dans mon cas, le sommet était cette chimère :
sitôt arrivé au sommet, je savais inconsciemment qu’un autre objectif me
porterait plus loin.
Dans la dernière partie de l'ascencion (Photo : Natalia Belzarova) |
Et puis finalement, au détour d’un chemin, l’hideuse pyramide de métal qui marquait le point le plus haut, apparut. Malgré la fatigue, les muscles brûlants, le souffle court, j’accélérai. Un cri de soulagement ou de joie plus tard, nous mangeâmes là, à 4167 mètres d’altitude, en paix. Il n’y avait qu’une brise à peine perceptible, et des oiseaux qui venaient voler notre déjeuner. D’un côté nous voyions la plaine de Marrakech, et de l’autre, les montagnes et les vallées qui continuaient, vers le désert. Peu de mots furent échangés, surtout des sourires. Le silence assourdissant qui nous entourait était propice au repos. Après quelques dizaines de minutes, méditation ou sieste, nous avons entamé la longue redescente. Dans le dernier quart nous avons croisé des randonneurs qui grimpaient, avec des sacs énormes sur le dos. « Vous comptez camper là-haut ?! » leur demandai-je stupidement. « Non, on va redescendre en parapente. Il y a beaucoup de vent là haut ? » me répondit l’un des deux. Un retour sans doute plus agréable que de revenir sus ses pas, pour pouvoir enfin narguer les oiseaux.
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